Une vague d’excitation m’envahit lorsque je m’assois pour interviewer l’actrice et icône queer Samira Wiley à propos d’une collaboration qui a vu le jour dans mon paradis gay : un portrait géant de Wiley d’un mètre cinquante de haut, entièrement réalisé en briques LEGO®. Il a été conçu pour lancer une campagne incitant au jeu et à la créativité afin d’explorer qui nous sommes et célébrer notre identité.

« Il y a des images amusantes là-dedans » dit Wiley en souriant. « Des choses que vous ne sauriez pas si vous n’étiez pas dans la même pièce. » Son sourire est aussi électrique que sa personnalité, et passe sans transition d’une sincérité chaleureuse à une jovialité enjouée. Alors que nous réglons les problèmes audios pour notre appel vidéo, notre rituel à distance en 2023, elle dégage une zénitude absolue.

« Un instant », dit Wiley, en levant le doigt avant de disparaître de l’écran. Quelques instants plus tard, je l’entends interagir avec sa fille, George. Des éclats de rire enfantins émanent de l’autre pièce. Même lorsqu’elle est en train de chercher ses écouteurs, Wiley prend le temps de veiller à ce que sa fille aille bien.

Tout aussi rapidement, Wiley est de retour devant la caméra.

« Voilà, je t’entends », dit-elle avec un grand sourire.

Le son enfin opérationnel, nous nous penchons sur la vie de Wiley, sur sa vision et son dynamisme, et sur la manière dont ces histoires ont contribué à façonner son portrait d’aujourd’hui.

En repensant aux choses qui ont eu un impact sur vous et votre identité, est ce qu’il y a eu des moments marquants ou des temps forts qui vous viennent à l’esprit ?
Je n’ai pas rencontré beaucoup de personnes qui me ressemblaient et qui aimaient de la même manière. En tout cas, ce n’étaient certainement pas des personnes pleinement accomplies et tridimensionnelles. Et elles n’étaient certainement pas aussi représentées. Cela a été long pour moi de réaliser que ces choses qui n’existaient pas quand j’étais plus jeune, non seulement existent maintenant, mais j’en fais aussi partie.

Vous avez contribué énormément à la représentativité, mais toute cette attention n’a peut- être pas toujours été facile à supporter, non ?
Très tôt dans ma carrière, j’ai eu des conversations avec ma confidente, ma femme, sur le fait que je ne voulais pas être étiquetée — que je ne voulais pas jouer le rôle de cette fille gay à chaque fois.

Je comprends cette peur. Cette idée que « gay » est un genre plutôt qu’une facette d’une personne à part entière.
[Rires] Justement. Elle m’a aidée à réaliser le privilège d’être une femme noire et homosexuelle et de pouvoir être représentée à la télévision. De faire en sorte que chacun comprenne qu’il ne

s’agit pas seulement d’un personnage de fiction. Cette personne existe en chair et en os. J’ai participé d’une certaine manière à lutter contre cette idée reçue et tordue selon laquelle une femme noire et homosexuelle n’existe pas. Cela a été une véritable révélation pour moi.

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En tant qu’actrice, vous endossez sans cesse différentes identités. Comment se passe l’intégration dans votre travail ?
Depuis longtemps, j’imaginais le métier d’actrice comme : vous montez sur scène, et vous devez immédiatement oublier qui vous êtes et toute votre histoire pour devenir quelqu’un d’autre. L’un de mes professeurs d’art dramatique m’a dit : « Samira, il n’y a personne d’autre que toi. Chaque personnage auquel tu donnes vie ne peut être influencé que par tes expériences personnelles et ta façon de voir le monde.” J’ai trouvé des réponses à tant de choses avec cette idée.

Vous avez commencé à jouer sur scène très jeune.

Lorsque j’avais 9 ou 10 ans, je me souviens avoir dit à mes parents : « Il y a un camp de théâtre, et il faut que j’y participe. » J’ai fini par suivre ce programme de l’université Howard, et ce jusqu’à la fin du lycée. Il m’a donné beaucoup de confiance en moi et m’a fait découvrir une partie de moi- même qui me permet d’être celle que je suis aujourd’hui.

Qu’est-ce que vous avez trouvé de si spécial dans le théâtre ?

À l’école primaire, les enfants récitaient des poèmes sur scène. Une année, en regardant cette fille réciter, j’ai eu l’impression de jouer un rôle dans une comédie. Elle avait ce pouvoir. La salle était remplie de jeunes enfants. Et tout d’un coup, ils se sont redressés sur leur siège et ont prêtés attention au discours, grâce à la force et au pouvoir que vous exercez avec vos mots et votre corps sur scène. Je me suis dit : « Quand je serai grande, voilà ce que je veux devenir ».

Je connais ce sentiment : rien ne vous empêchera de faire ce que vous voulez. D’autres sources d’influence pendant votre enfance ont-elles été déterminantes ?
Je suis allée directement voir ma mère. Et ma sœur. Deux des femmes les plus fortes que je connaisse. Ma sœur est mère de cinq enfants et possède sa propre entreprise, et ma mère a deux doctorats, alors j’essaie juste de rattraper mon retard. Je me souviens des histoires de ma mère lorsque j’étais petite : l’adversité — mais aussi la joie, le triomphe, et tant d’autres choses qui vont de pair avec la consécration d’être une femme noire accomplie dans ce monde.

Aujourd’hui, vous êtes vous-même devenue mère. D’un enfant en bas âge actuellement.

Le mariage est la chose la plus difficile que j’aie jamais faite. [Rires] Ça revient à dire « oui » à la même personne tous les jours. C’est une chose magnifique. Et puis vous plantez un bébé au milieu de tout ça. Je ne sais pas pourquoi les gens font ça. C’est incroyablement compliqué. Le fait d’être parent a élargi l’idée que je me fais de moi-même en tant qu’être humain à part entière. Cela m’a fait découvrir que mes capacités d’aimer et de patience étaient bien plus grandes que je ne le pensais. Mais à certains moments, j’ai failli perdre les pédales.

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Les parents sont des héros. J’ai gardé ma nièce de deux ans pendant deux semaines. J’étais épuisée.
Deux semaines, vous imaginez ? C’est une longue période.

Je me suis dit, mais en fait, vous savez, la fête des Mères…

elle devrait se fêter tous les jours. Et puis, si on pense aux mères célibataires, mon Dieu. Mais, oui, la famille que nous avons créée est l’une des raisons pour lesquelles je sais pourquoi je suis ici. C’est le grand périple de ma vie : trouver comment être en même temps une mère et une épouse.

Comment cherchez-vous à inspirer votre fille, et même d’autres personnes que vous rencontrez, pour qu’elles s’approprient ce qu’elles sont ?
Ma femme et moi avons fait le choix conscient d’être visibles. Nous sommes deux femmes mariées depuis six ans. Nous avons une famille stable et aimante. Nous pouvons marcher dans la rue et nous tenir la main. Nous emmenons notre fille à l’école ensemble. Ce sont des choses dont beaucoup de gens ne peuvent pas rêver. Je suis donc fière de la famille que j’ai créée.

Même dans votre style, vous dégagez une telle authenticité une telle expression individuelle.
Mes parents étaient tous deux pasteurs. J’étais à l’église tous les jours. Je portais des robes d’église. C’était la tenue. Puis il y a eu une période au lycée où je ne savais pas ce qui se passait. Avec le recul, ce fut le début de l’exploration de mon identité queer. Je me souviens d’avoir porté les casquettes et les maillots à l’envers de mon frère et de les avoir mis dans mon sac à dos pour que personne ne me voie porter ces choses à l’extérieur et à l’école. Puis on trouve notre identité et notre place entre les casquettes à l’envers et les robes d’église. Et c’est à ce moment que je me suis découverte.

Lorsque nous sommes conditionnés à nous habiller d’une manière spécifique et sexuée, trouver cette place peut s’avérer très difficile.
Les gens passent des années à se demander : « Qu’est-ce que je vais devenir ? Qu’est-ce que je veux représenter ? » Andy Warhol a dit : « L’art, c’est tout ce qu’on peut faire. » C’est ce que je me demande quand je crée une tenue. « Qu’est-ce que Samira peut bien faire que personne d’autre ne fait ? » Et j’ai l’impression d’avoir trouvé ma place dans la comédie.

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Parlons de ce magnifique portrait que vous avez réalisé avec l’équipe LEGO.

Je me suis vite rendu compte que je travaillais avec des personnes passionnées, bienveillantes, et réfléchies. Cela m’a vraiment marqué. Ils m’ont aidé à m’aimer — moi et mon histoire. C’était incroyable d’entrer dans une pièce et de voir des gens passer de la parole aux actes.

Ce projet semble avoir suscité beaucoup de créativité et d’introspection.

Tout cela a été un processus très stimulant et gratifiant pour moi. L’équipe m’a beaucoup encouragée en me permettant d’enquêter et de réfléchir de manière critique sur différents aspects de ma vie. Je quittais ces réunions tellement inspirée — en larmes des fois. Je suis toujours attirée par le processus créatif de quelqu’un d’autre et par la façon dont elle ou il pense à la représentation du monde dans l’art.

Quels sont les éléments visuels les plus marquants du portrait ?

Quelques-uns de mes tatouages. L’un d’eux s’appelle Norma. C’est l’un des symboles Adinkra provenant de l’Afrique de l’Ouest. C’est le premier tatouage que je me suis fait — j’avais 19 ans. Il signifie enfant des cieux.

Le projet Pieces of Me vise à célébrer les éléments uniques de nos identités. Sur la base de votre propre expérience, quels conseils donneriez-vous aux personnes LGBTQIA+ pour qu’elles apprennent à s’accepter ?
Il est difficile de donner des conseils, car nos parcours sont tellement différents. Mais ce qui m’a aidée dans la vie, c’est le fait de savoir que si personne d’autre ne m’assume, c’est à moi de m’assumer. Je dois m’aimer telle que je suis. Je dois comprendre ma valeur personnelle. Lorsque vous grandissez dans un endroit où l’on ne vous enseigne pas votre valeur personnelle, où l’on ne vous montre pas que vous comptez, il n’est pas facile de dire un jour que vous allez y croire. Mais je sais que n’importe quelle personne — où qu’elle soit dans son parcours — peut trouver cela et changer. Mon cheminement vers l’acceptation de soi m’a changé, m’a sauvé, et m’a permis de m’épanouir.

Au moment de conclure, Samira retourne vers sa fille de deux ans, je réfléchis au kaléidoscope de portraits qui émergerait si tout le monde se posait la même question : « Si vous deviez construire un portrait LEGO qui vous ressemble, comment créeriez-vous celui-ci sous forme de briques ? Quels éléments de votre identité seriez-vous le plus fier de partager ? » Il y aurait sans aucun doute des motifs récurrents qui feraient écho à nos expériences humaines communes : l’amour, l’acceptation, la communauté, l’expression artistique, et enfin, le jeu. Cependant, l’éventail éblouissant de spécificités qui nous rendent si fantastiquement et singulièrement nous- mêmes serait tout aussi captivant.




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